Comme je l’ai écrit dans mon dernier article, l’incomplétude poétique du Ryoan-ji m’a fait penser, par analogie, à Kurt Gödel.
Logicien et mathématicien austro-américain. Considéré par son ami Albert Einstein comme le plus grand logicien depuis Aristote, son résultat le plus connu étant le théorème d’incomplétude en 1931.
Il est celui qui prouve que quoi qu’on fasse, il existe des énoncés mathématiques vrais, mais indémontrables. Les mathématiques resteront à tout jamais un édifice imparfait…
Jean Staune, dans son ouvrage « Notre existence à-t-elle un sens ? » livre une description savoureuse de l’intervention de Gödel lorsqu’il présenta ses découvertes…
La démonstration de ce théorème est trop complexe pour moi, néanmoins, voici les résultats de Gödel:
– La cohérence des mathématiques ne peut pas être démontrée à l’intérieur des mathématiques.
– Tout système d’axiomes (un axiome est un postulat, c’est-à-dire une base logique à partir de laquelle on élabore un système logique) contient des propositions indécidables, ni vraies ni fausses.
– Tout système d’axiomes ne peut pas être à la fois complet et cohérent.
– Tout système d’axiomes contenant l’arithmétique (la théorie des nombres) contient des propositions dont on peut savoir qu’elles sont vraies mais non démontrables.
Au final, dans toute branche des mathématiques suffisamment complexe (par exemple l’arithmétique), il existe une infinité de faits vrais qu’il est impossible de prouver en utilisant la branche des mathématiques en question.
Les deux théorèmes de 1931 de Gödel sur l’inconsistance et l’incomplétude de l’arithmétique du premier ordre ont eu des répercussions importantes sur la pensée philosophique moderne.
Un point important philosophiquement est l’existence de propositions vraies mais non démontrables. Si elles sont non démontrables, comment pouvons-nous savoir qu’elles sont vraies ?
Gödel répond que c’est parce que nous avons un contact étroit avec le monde platonicien des Idées. Il estimait que l’intuition mathématique, qui se passe de toute démonstration, est aussi réelle que la perception.
La première conséquence de ces théorèmes est que la Vérité ne peut pas être exprimée en termes de démonstration. Une chose prouvable n’est pas nécessairement vraie et une chose vraie n’est pas toujours prouvable. Beaucoup de philosophes ont pensé le contraire et ont essayé de définir la vérité comme étant égale aux choses démontrables.
De manière générale, dans quasiment toutes les entreprises intellectuelles conséquentes, on peut exprimer des arguments mathématiques simples et on risque donc de rentrer dans le cadre du théorème de Gödel. Je peux ainsi prétendre des choses fausses sans qu’on ne puisse démontrer le contraire.
De la même manière, je peux prétendre des choses vraies sans pouvoir me justifier par une démonstration.
De même que l’ensemble des vérités est plus important que l’ensemble de ce qui est démontrable, la réalité est plus importante que l’ensemble des connaissances possibles.
Pour trouver des vérités dans un système donné, il faut pouvoir s’en extraire et pour cela il faut une raison qui soit capable non pas de simplement rajouter des axiomes à un système mais d’en créer un nouveau dans lequel l’ancienne vérité indémontrable deviendra au contraire tout à fait démontrable.
Ce théorème a eu un tel retentissement qu’il a donc été interprété dans d’autres domaines comme un résultat général d’impossibilité scientifique ou philosophique, voire une limitation intrinsèque et démontrée de la connaissance humaine.
Ainsi, Régis Debray qui décrit la loi d’incomplétude comme ceci : « Un tout ne peut se compléter lui-même ». Autrement dit, la limite est toujours extérieure à ce qu’elle limite.
En réalité, les théorèmes d’incomplétude de Gödel ne s’appliquent qu’à des systèmes formels de raisonnement logique ayant certaines caractéristiques (récursivement axiomatisables, etc.) et même si Gödel lui-même allait plus loin, il s’est bien gardé de publier sur ce sujet… En effet, à partir des années 1940, Gödel se consacre principalement à la philosophie mais ne publie rien de ses réflexions, « par crainte de passer pour fou ». Il a d’ailleurs eu une triste fin…
Néanmoins, le théorème de Gödel peut nous conduire à nous poser des questions philosophiques légitimes (et fructueuses) sur le statut des modèles que l’on veut étudier.
L’approche est donc très différente, mais la conclusion logique me parait être exactement la même que celle qu’évoque le Ryoan-ji : quoi que l’on fasse, il y aura toujours une limite, une incomplétude, à la connaissance « horizontale », celle du mental, de l’égo…
Pour « voir » la 15ème pierre du Ryoan-ji, la complétude, l’unité, il faudra une élévation, un mouvement d’une autre nature : « vertical »…
Ce sera l’objet sous-jacent de ce blog, pour mettre en œuvre au fil des articles, une des maximes préférées de mon père « toujours plus haut » 😉
Laisser un commentaire