N’étant pas un thuriféraire des religions, je me sens assez proche, une nouvelle fois de Kurt Gödel, pour qui les religions sont, en général, mauvaises mais la Religion ne l’est pas…
Néanmoins, il est toujours possible de réfléchir fructueusement à propos des idées émises et de leur fondement.
Première constatation, personne ne suit ce conseil, vous et moi jugeons en permanence à peu près tout et tout le monde.
Comme toujours, je préconise de bien vérifier ce point, directement, au cours d’une journée, en vous-même afin de ne pas rester au niveau théorique. Nous ne jugeons pas forcément tout négativement, mais la question n’est même pas là, puisse qu’il s’agit de ne pas juger du tout…
Deuxième constatation, notre jugement est subjectif. Presque tout le monde le sait, mais les conséquences sont rarement prises en compte. Exemple trivial : il pleut ce weekend, mon jugement de cet évènement est fortement négatif car c’est justement un des rares moments où j’ai pu partir à la campagne, donc pas de balades, etc. Mon voisin, paysan, est lui, ravi. Il porte un jugement très positif, en effet, il attendait depuis des semaines cette pluie indispensable à ses cultures… Ma « réalité » n’est pas du tout la sienne, elle est donc loin d’être objective.
Pourquoi Jésus conseille-t-il de ne pas procéder de la sorte ?
Nous nous retrouvons au cœur des relations humaines de mon dernier article.
Première piste, évidente à la lecture des Évangiles : pour ne pas tomber nous-mêmes sous le jugement des autres, sachant que notre jugement est loin d’être parfait : « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne l’as pas remarquée. » (Évangile selon Luc (chapitre 6, verset 41)). Il est très facile de voir les pailles, beaucoup moins de regarder les poutres…
Il s’agit donc d’avoir des relations plus paisibles en espérant une réciprocité bienveillante.
Ce serait déjà une belle avancée, mais je pense que la vérité est plus profonde, en fait, tu ne jugeras point car tu ne peux pas le faire pertinemment.
– Première limite, relevée brillamment par le grand philosophe Coluche : « L’intelligence c’est la chose la mieux répartie chez les hommes parce que quoi qu’il en soit pourvu, il a toujours l’impression d’en avoir assez vu que c’est avec ça qu’il juge.«
Vous noterez bien le dernier mot…
Sommes-nous assez intelligents pour juger ? C’est notre intelligence qui va répondre… N’y a-t-il pas là un paradoxe si ce n’est un petit souci.
– Deuxième limite, la pertinence des informations qui servent de base à nos jugements.
Il s’agit de tous les petits jugements de chaque jour, et pas, bien évidemment des questions factuelles objectives (genre quelle est la distance de freinage d’une voiture à 130 km/h ? Encore que sur cet exemple, il me semble que pour conduire assez peu de personnes se basent sur la réponse objective apprise lors des cours de conduite (en moyenne : un peu moins de 100 m…).
Nous utilisons les informations que notre mental a stockées. Quand je rencontre une personne, mon mental ressort automatiquement (inconsciemment et très rapidement) toutes les informations connues sur la personne, sa « fiche ». Cette fiche est ensuite projetée sur la personne.
Et finalement, je rentre en relation, non pas avec la personne, mais avec la fiche d’informations que j’ai sur elle. Il ne vous échappera pas, si vous observez le processus en vous-même, que chaque fiche comporte une sorte de note finale : plus ou moins négative pour les personnes qu’on n’aime pas et plus ou moins positive pour celles qu’on aime.
Et comme à l’école, nous pouvons assister au « miracle » du classement des personnes, de la valeur de nos relations. Il ne me semble pas qu’il y ait de vraies fiches neutres, à un certain niveau, nous sommes toujours attirés ou repoussés…
Ce concept éducatif de classement est le plus pourri qui soit selon mon expérience… Pourri au sens propre, c’est-à-dire qui entraine une véritable putréfaction de la personne, et cela quelque soit votre « classement », de la mauvaise image qui vous suivra toute votre vie d’un côté, à votre arrogance de fond qui persistera elle aussi de l’autre (sauf si la vie vient vous rappeler un peu à la réalité).
J’ai adoré l’école, vous l’aurez compris 😉
Il y a toujours une fiche, mais celle-ci est plus ou moins longue en fonction de la durée de la relation. La plus longue étant donc celle de notre mère, puis celle de notre père (pour une enfance dite ordinaire).
Et si nous rencontrons une personne pour la première fois, une fiche de « préjugés » est construite immédiatement, avant même toute interaction, en fonction des éléments disponibles (âge, sexe, apparence physique, vêtements, etc). Et de fait, pour cette première fois, je ne vais pas m’adresser exactement de la même manière à une belle jeune fille bien habillée qu’à un vieux monsieur hirsute en haillons.
Bref, un système classique de projection qui nous coupe, quasi complétement de la réalité.
La question qui devient cruciale est donc la valeur réelle de ces jugements, sachant que toutes nos relations humaines, toutes nos relations au monde sont basées dessus…
C’est presque une question statistique : quel est le pourcentage d’informations vraies qui fondent mes jugements ?
Prenez par exemple votre compagnon ou un ami très proche, vous vivez avec l’impression de bien le connaitre. Or en vérité, que savons-nous de sa vie, du vécu de ses expériences ?
Il ne vous a pas échappé que le vécu d’une même chose peut être très différent selon les personnes, voire complétement opposé…
Bref, à mon avis c’est au maximum 20% de la réalité, disons 25% pour être large. Dans le cas d’une personne que je connais bien, il me manque en gros les trois quarts des informations.
En outre, plus profondément si nos informations sont vraies, quand l’ont-elles été ?
Il y a 1 mois, 1 an, 10 ans ? Même si c’est hier, aujourd’hui est un autre jour, une autre réalité. Évidemment, il faudrait être neuf chaque jour pour voir cette réalité, sans cesse renouvelée. Il s’agirait d’une belle, vraie révolution…
En clair, je juge (une personne que je connais bien) avec au mieux 25% d’informations vieilles.
La question devient donc, est-il pertinent de juger une personne ou une situation avec un outil limité (notre intelligence) dont on ne peut percevoir clairement les limites (puisqu’il s’agit d’une auto-analyse) et des informations très parcellaires, dont la vérité est sujette à caution (subjectives) et de surcroit anciennes (même si elles étaient vraies, le sont-elles aujourd’hui) ?
En tous cas, il est clair que dans ces conditions nos jugements nous définissent nous-mêmes beaucoup plus qu’ils ne définissent les autres. C’est peut-être pour l’égo la raison ultime pour s’abstenir de juger.
D’autant que pour changer de sphère, et pour revenir à la religion (du latin religare : relier) comme le souligne le Dalaï-Lama, dans un esprit proche de celui des Évangiles :
« l’Amour est l’absence de jugement… ».
Laisser un commentaire